Quand Eric a ouvert boutique, j’étais parmi ses nouveaux voisins. Nous étions plusieurs à arriver à Pont-Croix en cette fin de millénaire, sans nous connaître, sur la place de l’église. Curiosité. Sympathie. Amitiés naissantes. Un potier, un artisan qui s’installe dans un village sans qu’on lui ait rien demandé au seuil de l’an 2000, c’est un peu un défi. Un défi et un encouragement à ceux qui veulent n’en faire qu’à leur tête, qui préfèrent travailler seuls, à leur rythme. Mais il faut gagner sa vie, affronter les doutes, les difficultés et les aléas du métier. Ce n’est pas un jeu.

Entrer en passant pour aller faire ses courses, se glisser, après avoir jeté un coup d’oeil aux objets exposés, derrière le comptoir qui sépare espaces de vente et de fabrication. Poser les yeux sur les pinceaux et les petits pots de couleur. Il y a le tour tout au fond, devant l’ancienne cheminée, il y a les quelques marches qui mènent au four du haut et à la zone de séchage. Le potier évolue d’un poste de travail à l’autre selon une chorégraphie orchestrée par ce petit espace : prendre la terre, la battre, la tourner, monter, enfourner, redescendre, suspendre un geste, émailler.

Devenir familier du spectacle de la boule de terre qui monte, descend, remonte, se creuse sur le tour, voir la forme naître. Suivre les étapes de la fabrication des pièces, avant cuisson, avant l’étape du décor, poser des questions. Les pains d’argile noire, blanche, rouge sur le sol, en attente. Une cuvette avec de l’eau, pour tremper les mains avant le façonnage.

La boutique s’emplit d’objets aux couleurs vives, aux motifs simples, des lignes, des pois, des taches, des ronds qui s’emmêlent, des courbes, des feuilles... De nouveaux décors apparaissent au fil des saisons, certains persistent, disparaissent un temps, reviennent. Ainsi celui des écritures : toute une année le potier a écrit en creux sur ses objets des noms de lieux, des morceaux de poèmes, des phrases de Maeterlinck à propos des abeilles, des extraits du livre de cuisine d’ Alexandre Dumas.

Au fil du temps les formes aussi se sont diversifiées : sont apparus les carreaux, les gobelets, les bougeoirs...

Dans une société où presque tout existe en série, c’est un luxe de fréquenter un endroit où on ne voit jamais deux objets semblables. Ces objets simples, utilitaires, sont de passage, ils partent vite, on les regrette, les voilà remplacés par d’autres qu’on aime aussi.

Si on était dans un village africain c’est là que nous nous fournirions en vaisselle. Ici on achète l’objet pour le plaisir. Mais il est fait pour servir à quelque chose et sera aussi agréable à regarder chez soi qu’un détail de tableau de Matisse.

Toute l’année dans la vitrine, sur des étagères de bois à l’intérieur, le réjouissant spectacle des récipients en terre vernissée aux formes harmonieuses, aux couleurs pimpantes, aux motifs plaisants pour l’oeil. On peut toucher.

La clientèle est à la fois locale et touristique, les deux n’étant pas toujours si clairement distincts.

Eric travaille devant vous mais si on veut discuter, il est disponible, il est curieux et accueillant, il connaît ses clients, il aime savoir où vont ses pièces, parfois on lui envoie des photos, c’est un échange, une circulation à taille humaine, on revient d’une année sur l’autre pour découvrir les nouveautés et enrichir sa collection.

Cette activité sédentaire se complète d’une autre activité voyageuse. À l’automne, une fois le rythme intense de la saison retombé, le potier part pour un long voyage qu’il a préparé dans les rêveries de l’atelier. Il oublie tout, dit-il, de ce qui l’occupe lorsqu’il est à Pont-Croix. Dans cette déprise infusent les couleurs, les paysages, les rencontres, toutes les sensations qui teinteront sans qu’on sache comment la nouvelle saison du potier, qui commence vers Noël.